La contamination des témoignages

Les témoignages recueillis sur le vif, puis dans les heures, les jours et les années qui suivirent portent tous en eux le risque d’une réécriture de la scène réellement vue. Ce phénomène, bien connu des spécialistes du débriefing post-traumatique, est résumé dans le Pentagate :

« En effet, dans ce type de situations, les différents organes sensoriels de l’individu n’ont souvent pas la possibilité de saisir l’événement de manière complète, et c’est alors le cerveau qui va combiner les différents éléments perçus pour construire une version intellectuellement cohérente. Ce phénomène est connu sous le nom anglais de feed-back, terme qui peut se traduire en français par “régénération”. C’est un réflexe qui consiste à remplacer instinctivement une sensation mal identifiée par l’organe sensoriel, par une autre qui fait partie de l’acquis de la mémoire. Ainsi, lorsqu’on entend mal un son ou un groupe de son, la zone psycho-auditive le reconstitue en lui substituant un autre qu’elle connaît. Il en va de même pour l’œil. Une image trop fugitive pour être distinctement vue est remplacée par une autre que l’esprit a déjà rencontrée et qui fait partie de l’acquis visuel du témoin. Pour ce faire, le cerveau va associer les différents éléments sensoriels (bruit, image fugitive, environnement…) pour en déduire en une fraction de seconde ce qu’il a “vu”.

Imaginons un instant un aéronef aux couleurs argent, rouge et blanc, volant à basse altitude et à toute vitesse, avec un bruit strident, en zone urbaine. Imaginons également que la plupart des télévisions et des médias soient en train de diffuser les images d’un Boeing s’écrasant en zone urbaine. Quelle est la probabilité que les témoins du passage de cet aéronef, n’ayant pas le temps de l’identifier, reconstruisent a posteriori, dans un réflexe de feed-back, une image bien connue de Boeing ? Difficile à évaluer, mais cette probabilité est élevée. »

La soudaineté, la rapidité, la violence et la stupéfaction de l’attaque n’étaient pas les plus propices à l’établissement de comptes-rendus complets, circonstanciés et fiables, en raison même de la confusion chez les témoins.